Mai, joli mois de mai... Porte-bonheur en France
PAR VALÉRIE GOUPIL, DOCTEUR EN HISTOIRE DE L'ART, HISTORIENNE DU BIJOU, EXPERT-GEMMOLOGUE
1ère Partie
Amulettes, Talismans, Fétiches...Afin d’attirer, d’appeler le bonheur et de repousser le malheur, les hommes, depuis des siècles, ont recours à des rites, des gestes et des objets. Ces derniers peuvent être d’origines naturelles (pierres, fleurs séchées...), fabriqués (représentations d’animaux ou d’objets) ou marqués par un chiffre ou une formule magique.« Véhicules de forces mystiques », magiques, provenant du monde surnaturel ou religieux, ils conjurent, dans toutes les civilisations, le malheur.
Ces objets sont dotés d’une force, d’une puissance mystérieuse pour ceux qui les portent.
Quelques définitions
Nommés par des noms différents jusque dans les années 1870 : amulettes, talismans, fétiches, gris-gris parfois porte-chance puis mascotte, porte-veine.
Amulette, vient du latin amuletum que Pline utilise pour désigner un objet qui préserve les gens de la maladie et ainsi du maléfice. Il y a un sens prophylactique dans le mot.
Talisman, proviendrait de l’arabe tilasm. Correspondant chez les Grecs:Telesma, qui signifie « objet consacré ».
Le terme fétiche est quant à lui emprunté du substantif portugais feitiço signifiant « quelque chose de fabriqué et … » et faticiera, « sorcière ».
Le mot Gris-gris selon Pierre Guiraud, « représente sans doute le proverbe faire gris-gris, faire gueri-gueri, locution enfantine qui aurait pu passer dans le sabir.
Enfin mascotte, provient de mascoto, sortilège.
Tous ces mots évoquent le pouvoir magique et protecteur des objets.
Porte-Bonheur
Si les hommes portent dans les années 1835-1840, « des bagues talismans », il faut attendre le milieu des années 1870, après un contexte politique et social très violent et douloureux, pour voir apparaître aux poignets des femmes, une foule de bracelets luxueux dits « porte-bonheur » en or et parfois en platine, ornés de pierres précieuses. En 1874, « rien n’est plus galant et de meilleur style que le don d’un porte-bonheur de petit volume, mince, filiforme, d’apparence extra-modeste et qui porte, niché sur un point de son cercle, un diamant de haut prix », dont l’origine serait orientale écrit E. Chapus. Les femmes peuvent en porter plusieurs car « les bonheurs dont se compose la vie sont multiples (…) amour, richesses, talents, esprit (…)». En 1876, les Grands Magasins du Louvre proposent des « bracelets dits Porte-Bonheur (en) métal, nickelé, ciselé et découpé à jour » ; portés en nombre, ils sont nommés « bracelets-semainiers ». Le mot porte-bonheur est défini à cette date dans le Littré comme un « terme de bijoutier, bracelet sans charnière et uni, ordinairement en argent ou en or, qu’on porte au bras, et qu’on ne quitte jamais ».
Ces bijoux sont alors rarement accompagnés d’inscriptions ou de motifs hormis le trèfle à quatre feuilles. Il semble qu’il faille attendre la fin de ce siècle pour les voir apparaître plus régulièrement.
Représentation des porte-bonheur
En 1903, parait une très intéressante description d’un bracelet porte-bonheur dans la Revue de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie :
Le véritable Bracelet Porte-bonheur
Les élégantes, qui veulent tirer des traditions superstitieuses tout le parti possible dans l'intérêt de leur parure, ont décrété qu'un bracelet, pour joindre l'utile à l'agréable, en mettant à l'abri de toute malchance, doit être garni de treize porte-bonheur :
1° Un trèfle à quatre feuilles, gage de bonheur ;
2° Un marteau, symbole de fidélité ;
3° Un coeur en améthyste, qui assure la constance ;
4° Une clochette, signe de droiture ;
5 Un sou percé français, qui parait-il conserve la grâce ;
6° Un petit cochon, souverain contre le mauvais oeil ;
7° Une baie de genièvre, sûr gagnant d'une bonne santé ;
8° Un petit serpent, symbole d'amour éternel ;
9° Une vieille monnaie qui donne la chance à tous les jeux ;
10° Une noisette, assurance de longue vie ;
11° Un sabot de cheval, garantie de succès en affaires,
12° La corne d'ivoire ou de corail contre les dangers.
13° Le nombre 13 lui-même clôt la série ; tel est le bracelet, panacée universelle, qui tout en formant les délices des belles oisives, procure une source certaine de revenus à leur joaillier, justifiant ainsi sont objet : utile dulci.
Ce bracelet porte-bonheur est constitué de trois catégories de porte-bonheur : plantes, représentations d’animaux, objets en miniature et signe d’écriture avec le chiffre 13. Nous étudierons ces signes à travers différents articles.
Les plantes porte-bonheur
Qu’elles soient cueillies, trouvées, offertes, certaines d’entre elles symbolisent le bonheur. Elles sont alors séchées et portées dans un médaillon ou représentées en métal parfois émaillé ou serti de gemmes. Le pouvoir est le même.
Le trèfle à quatre feuilles
C’est incontestablement la plante préférée pour souhaiter ou attirer le bonheur. Déjà en 1852, Eugénie avait reçu indirectement de son futur époux, une broche en argent et or émaillé, représentant un trèfle à trois feuilles entourées de petits diamants.
Mais ce qui est le plus recherché, c’est la rareté des quatre folioles. Un journaliste du Gaulois en 1898, s’inquiète de « l’immense consommation du trèfle à 4 feuilles, que l’engouement accordé à cette plante rare nous rendait suspecte ». Rassurant le lecteur, il nous apprend que « le véritable porte-bonheur est celui que l’on trouve soi-même sans l’avoir cherché ! ».
Chaque feuille aurait une vertu : renommée, richesse, amour sincère et santé. Le trèfle trouve sa place sur les bracelets, les épingles, les broches et particulièrement dans les médaillons où il est conservé précieusement (fig. 3). Il peut être reproduit et découpé dans du métal (Fig.4), ou peint sur du verre (fig.5).
Le Muguet
En Avril 1912, Le Gaulois signale à ses lecteurs que « le meilleur porte-bonheur est(..) de tenir un peu de muguet à la main, de l’épingler au corsage » ou de le porter à la boutonnière. Ses petites clochettes blanches semblent contenir chacune un souhait et son parfum suave légèrement musqué embaume. Associé au 1er mai, c’est bien avant 1947, année de la fête légale du Travail et jour férié en France, qu’il était offert. Symbole du renouveau et du printemps, ce jour, appelé « vert de mai » était fêté déjà au Moyen Age : il était d’usage de planter un arbre vert, appelé le mai, devant la porte d’une personne que l’on voulait honorer.
A la fin du XIXe siècle, E. Hupin témoigne dans son ouvrage « Au temps du muguet » : les jeunes gens ne manquaient pas de fêter ce moment, on dansait au bois et « les orchestres champêtres se faisaient partout entendre (…) Après la cueillette du mai et des premiers bouquets (…) les amants n’eussent pas osé manquer à la fête annuelle où tant d’accordailles s’étaient achevées ».
Offrir un brin de muguet, c’est offrir du bonheur, qui peut être offert en or avec ses petites clochettes de perles (fig.6 et 7) ou gravé sur un médaillon contenant le portrait d’une personne aimée (fig.7b).
Le Gui
Symbole de vitalité, d’immortalité, d’espérance, cette plante aux branches constituées de feuilles verdoyantes, piquées de petites boules blanches, a la particularité de conserver sa verdure pendant l’hiver, sur les arbres dépouillés.
Recherché dès l’Antiquité, il est connu pour être vénéré par les Gaulois et faisait l’objet d’une cérémonie druidique.
Très recherché à la fin du XIXe siècle, aux environs de Noël et du 1er de l’an, il est suspendu au plafond de la chambre pour une année. L’an expiré, il ne doit pas être jeté mais brulé pour être remplacé. Ainsi, il portera bonheur. On s’embrasse sous le gui. En Bretagne, il était d’usage d’aller chercher le gui. La fête était réservée à celle ou celui qui le trouvait et qui le suspendait au-dessus de la porte d’entrée. Les jeunes filles, relate P. Constantin dans le Monde des Plantes, « passent une à une par-dessous, où elles sont embrassées sans façons par tous les garçons présents. Après une modeste mais abondante ripaille (…) on brûle le Gui (…) Le « roi du Gui » distribue ensuite gaiement les cendres à tous les assistants qui devront les conserver précieusement, comme « porte-bonheur », dans de petits sachets qu’ils portent sur leur poitrine ».
Le rameau de gui, ses nombreuses petites feuilles allongées, arrondies et ses baies serties de perles fines, se découvrent sur de nombreux bijoux au XIXe et XXe siècle (fig.8 et 9). L’époque Art Nouveau l’apprécie particulièrement.
Le houx
Comme le gui, la branche de houx possède des feuilles à la verdure perpétuelle. Hérissées, dentées, elles sont recherchées agrémentées de petits fruits rouges, symbolisant la vie. Coupé à la même saison que la plante sacrée, le houx est à partir de la fin du XIXe siècle, un porte-bonheur, comme il est mentionné dans Le Gaulois en 1896 : « Le traditionnel bouquet : gui, branches de houx mêlés s à la rose de Noël, s’offre cette année dans un grand sac de soie ancienne (…) L’emblème fleuri est attaché à un cadre comme souvenir ou placé dans un bibelot préféré. On le conservera toute l’année comme porte-bonheur ». Il est donc tout naturel de le retrouver comme motif principal sur des bijoux en or émaillé, sertis de boules de corail, (fig.10).
L'Edelweiss
La blanche petite fleur des sommets des Alpes, est un porte-bonheur « en aventure et en amour ». Elle est aussi la récompense des vaillants alpinistes (dont certains trouveront la mort en voulant la cueillir). Dès la fin du XIXe siècle, cette curieuse étoile des neiges parée de laine blanche dont la tige semble enveloppée de ouate est conservée dans les médaillons. Sculptée en ivoire ou réalisée en pâte de verre, elle est portée en broches, en épingles ou pendentifs (fig.11).
Nous nous sommes concentrés dans ce petit article aux principales plantes connues par tous pour leur attribution de porter bonheur. D’autres, localement en France, possèdent ce pouvoir associé à leur vertu médicinale. Notons par ailleurs la publication de nombreux ouvrages dès le milieu du XIXe siècle, consacrées au « langage » des fleurs.
Pour conclure ce chapitre sur les végétaux, mentionnons un dernier élément, symbole de vie depuis l’Antiquité : le bois. Entre celui du chêne qui protège les hommes de la foudre et celui de la croix du Christ ressuscité, ce matériau symbolise à la vie. « Toucher du bois », expression et pratique qui associe le geste à la parole, permet de conjurer le sort, de demander à Dieu d’exaucer sa prière. En 1916, pendant la guerre, la Maison Van Cleef & Arpels créait des bijoux «Touch Wood », associés aux pierres précieuses, à l’or et au platine.
Détails des légendes
Fig. 1 : Broche or jaune 750/°° émaillé noir et perle fine. Travail français vers 1850. Diamètre 3 cm
Fig. 2 : Bracelet or jaune et blanc 750/°°. Travail italien.
Fig. 3 : Pendentif en or jaune et or rose 750/°°. Des trèfles à quatre feuilles ont été glissés entre les deux verres. Bijou français de la fin du 19ème siècle.
Fig. 4 : Pendentif médaillon début de XXe siècle en or jaune et vert 750/°° , émail bleu et saphirs calibrés représentant un trèfle à quatre feuilles. Diamètre : 2,80 cm
Fig. 5 : Pendentif en or rose 750/°° et argent, orné d’un fixé sous verre à motif de trèfle blanc, diamants taillés en rose. Travail français de la fin du XIXe Siècle. dim : 2,70 x 1,90 cm
Fig. 6 : Collier en or jaune 750/°° et pendentif en or jaune mat, 5 perles de culture, et diamant taille ancienne. Travail français.
Fig. 7 et 7b : Pendentif en or 750/°°, demi perles fines. Travail du début du XXème siècle. Diamètre : 2,9 cm,.
Fig. 8 : Pendentif en or jaune 750/°°, orné d'une petite émeraude entourée de 4 perles. Dimensions : 30 mm x 30 mm
Fig. 9 : Médaillon français du début du XXe siècle, période Art Nouveau, en or vert et quatre demi-perles.Dimensions (avec la bélière) : 3 cm x 2,2 cm x 3 mm.
Fig. 10 : Broche houx en émail plique-à-jour, en argent (900 millièmes), 3 perles de corail. Travail Art Nouveau de Pforzheim, circa 1905-1015. Dimensions : 4,2 cm x 1,5 cm .
Fig. 11 : Pendentif de Gabriel Argy-Rousseau (1885-1953), de forme ovale en pâte de verre oblong, modèle créé en 1924.
Fig.12 : Broche or jaune 750/°° torsadé, pavage de diamants taille rose sur platine
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